Après lecture des textes d’Ardoino et de Beauvois (j’ai d’ailleurs trouvé plusieurs textes d’Ardoino sur le site http://jardoino.club.fr dont certains retracent assez précisément l’émergence de la psychologie sociale, puis de la psychosociologie), et à partir de ma pratique de conseiller en insertion professionnelle et en bilan de compétences, je vous livre mes réflexions :
La psychologie sociale et la psychosociologie peuvent se différencier en fonction du degré de contrôle qu’elles exercent sur l’environnement.
La psychologie sociale cherche à produire dans un environnement micro social les mêmes effets à partir des mêmes variables, en vue de la généralisation d’une théorie. Le contrôle de la situation est plus ou moins prononcé en fonction de l’approche théorique des chercheurs.
Le paramétrage des variables est fort quand l’orientation est cognitiviste (et c’est là que Beauvois se situe), tandis que les méthodes de recueil sont moins directives dans les approches cliniques, d’autant plus délicates qu’elles s’effectuent « à ciel ouvert ». Quoiqu’il en soit, la circonscription de l’objet de recherche se doit toujours d’être précise, en vue de la production d’une théorie.
La psychosociologie se définissant en tant que pratique d’intervention entre un consultant et un client, le champ de contrôle est beaucoup plus élargi. L’expérience de la rencontre s’ouvre sur une multiplicité de critères psychosociaux pour saisir la complexité de la situation. Le psychosociologue se situe davantage dans la phénoménologie, en laissant la place à l’expérience, sans chercher à confirmer une théorie psychosociale dans ses interactions avec le sujet. L’élaboration du savoir s’effectue à partir de l’expérience, le sens est co-construit par les protagonistes.
Ce que contrôle l’intervenant c’est le cadre, de manière à ce que le sujet puisse s’interroger sur différentes dimensions (intra individuelle, interindividuelle, institutionnelle…), pour lui permettre d’évoluer vers un changement. Ce changement est négocié avec le client, au fur et à mesure que s’élabore la demande. Le psychosociologue œuvre par son analyse, à repérer les représentations fantasmées, les idéaux individuels ou groupaux, les relations pathogènes, les normes et les valeurs contradictoires, pour permettre des ajustements créateurs dans la relation individu-groupe…
Si vous ouvrez le « Grand dictionnaire de la psychologie ». Ed. Larousse Bordas 1997, vous lirez en page 630, Psychosociologie : un synonyme de psychologie sociale. Puis, en page 724, Psychologie sociale : branche de la psychologie qui s’intéresse aux transformations des comportements, des caractéristiques psychiques que subit l’individu en société.
Ces deux définitions prôneraient alors plutôt le rapprochement …
Pour essayer de répondre à cette délicate question, je ferai référence à quelques auteurs et à ma pratique.
Du côté des auteurs, j’apprécie beaucoup le point de vue de Florence Giust-Desprairies ; succinctement, elle affirme ceci : « La psychosociologie s’ est établie comme pratique réfléchie du processus de changement social. Le psychosociologue réalise des interventions dans un processus de collaboration se traduisant par l’accompagnement des acteurs sociaux dans l’ organisation du travail, l’ élucidation des rapports de pouvoir et le traitement des conflits et des problèmes dans le cadre de situations sociales ». Elle préconise la notion de « co-construction de sens » dans l’intervention psychosociologique (ie, l’implication active des participants et de l’intervenant. Elle rejette toute démarche d’expertise en organisation qui prétend donner des solutions. L’intervention psychosociologique est vue sous l’angle essentiel de la praxis). Cette auteure laisse aussi la place au changement social vu sous l’angle du « processus » (ie, ce qui émerge et se forme dans la situation d’intervention ; ainsi, sont prises notamment en compte les dimensions transférentielles).
Jean-Pierre Pétard , quant à lui, pose cette question : « Comment nommer ceux qui exercent professionnellement dans le domaine de la psychologie sociale ? Dans l’état actuel, seul le titre de psychologue est protégé par la loi. La loi est récente en France (1985) et plusieurs instances se sont mises en place récemment pour organiser la (les) profession(s). Mais, concernant le secteur de la psychologie sociale, il existe des usages tels que l’on emploie plutôt psychologie sociale pour désigner le domaine de connaissance tel qu’il est constitué par les instances universitaires, l’appellation psychosociologie étant plutôt réservée au domaine tels que les praticiens le conçoivent. Il y aurait donc, de ce point de vue, des psychologues sociaux et des psychosociologues ».
Dans le monde du travail, les organisations font appel aux psychosociologues pour travailler sur « des processus de changement social » ; de régulation de conflits, de régulation d’équipe ; de pratiques de management ; d’analyse de pratique, d’analyse institutionnelle … .
Il s’agit souvent de redonner une unité dynamique aux différentes parties qui oeuvrent et/ou collaborent dans l’organisation.
Sous ce vocable « psychosociologue », les professionnels susceptibles d’intervenir sont des praticiens d’origines disciplinaires diverses. Les disciplines représentées sont : la psychologie, la sociologie, les sciences de l’éducation, la communication … En cela , elles font écho à la diversité des auteurs précurseurs ou fondateurs de la psychosociologie : Castoriadis, Devereux, Durkheim, Freud, Lewin, Rogers, Simmel, Tarde, Marx …
Une réalité économique, l’offre psychosociologique est « un marché ». Aussi les psychosociologues, se doivent-ils de convoquer dans l’exercice de leurs missions des questions sociétales, déontologiques et éthiques ». Là est l’essentiel ! Mais tous ne le font pas !
Les psychosociologues ont par ailleurs à soutenir une position paradoxale : eux-mêmes indépendants ou en cabinets, ils sont économiquement dépendants des clients avec lesquels ils passent contrat.
Qu’ils soient de formation psychologique, sociologique à référence psychanalytique ou humaniste, issus des sciences de l’éducation, de la communication ou du management… « les psychosociologues sont donc obligés pour eux-mêmes d’éclaircir leur politique, leurs finalités, leurs stratégies, les modes d’interaction avec leurs clients pour maintenir leurs références déontologiques et théoriques tout en conservant les possibilités concrètes suffisantes de travail. Cela signifie que les psychosociologues sont à eux-mêmes les premiers objets de leur pratique psychosociologique essayant de concilier sens et efficience ». Jacqueline Barus-Michel.
Comme vous l’aurez remarqué, ce n’est pas tellement la question d’une différence ou non entre psychologie sociale ou psychosociologie qui me mobilise mais celle du positionnement du psychosociologue et de ses orientations dans le cas de la consultation, la formation ou l’intervention. Qu’est ce qu’il défend ? Où est sa capacité d’esprit critique ? …
Bibliographie très succincte sur ce thème pour l’approfondir :
Barus-Michel (J), 1987, Le sujet social, Dunod.
Dubost (J), 1987, L’intervention en psychosociologie, PUF.
Giust-Desprairies (F), 2005, Le désir de penser, Paris,Téraèdre.
Sous la coordination de Pétard (J-P), 1999,Psychologie sociale, Coll. Grand Amphi.
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