Stigmatisation de la femme alcoolique
L’ensemble des travaux épidémiologiques effectués en alcoologie révèle une prédominance masculine de l’alcoolisme. Cette dépendance semble cependant augmenter ces dernières années chez les femmes.
L’alcool fait partie intégrante de la culture occidentale depuis des millénaires.
Pendant longtemps, l’alcool a été réservé aux hommes. Dans l’ancienne Rome, une femme surprise à boire du vin risquait la peine de mort au même titre que l’adultère. Les boissons fermentées lui étaient interdites. L’alcool a toujours été présent dans un monde d’hommes, boire représente un privilège soutenant la virilité de chacun. Dans les bars aujourd’hui, une femme seule accoudée au comptoir buvant un verre d’alcool est encore « mal vue ».
Société et repères identitaires
Depuis quelques années, nous assistons dans notre société à une revendication de l’égalité des sexes. Les repères identitaires sont en mouvance, les différences s’amenuisent.
Aujourd’hui, les femmes ont peu à peu des conduites dites « masculines ». Elles se mettent à boire « comme des hommes».
On assiste aujourd’hui à une levée partielle des tabous sociaux. La condition féminine évolue. Les femmes ayant des postes à responsabilité s’alcoolisent, les adolescentes s’alcoolisent publiquement. Pourtant, l’alcoolisme féminin est encore un sujet tabou dont on parle peu.
La société sanctionne davantage une femme qui boit. Celle-ci perd toute considération en tant qu’épouse, elle n’est plus « la petite fée du logis », qui apporte la sérénité et le réconfort. Elle apparaît moins séduisante, son apparence se modifie peu à peu.
Son statut de bonne mère est aussi remis en cause, il lui est difficile de s’occuper de ses enfants. Parfois, elle perd la garde de ses enfants.
Elle devient un objet de réprobation, elle est atteinte dans son image de femme, mais aussi de mère. L’idéalisation de la figure maternelle est très prégnante dans notre société occidentale. La perte de ses deux images fait de la femme alcoolodépendante une « paria » de la société. La dépendance à l’alcool reste inavouable pour de nombreuses femmes.
La croyance attribue à l’alcool des vertus désinhibitrices, aphrodisiaques. Cette femme n’aurait alors plus de retenue, l’abstinence d’alcool rimant avec l’abstinence sexuelle. Il lui est associé l’image de la débauche sexuelle.
Nous comprenons alors combien il est difficile pour ces femmes de parler de leur alcoolisme vécu dans la culpabilité. Tandis que l’homme qui boit plusieurs verres sera qualifié de « bon vivant » ou de « joyeux luron », la femme, elle, devra se cacher pour boire. Il est plus simple aujourd’hui pour une femme de se faire hospitaliser pour une dépression plutôt que pour une cure de désintoxication.
L’alcoolisme féminin produit une stigmatisation sociale qui n’est pas la même pour l’homme. La femme alcoolique est menacée d’être mise à l’écart, rejetée. Cette désapprobation est difficilement supportable et favorise un repli sur soi-même, l’enfermement dans l’alcoolisme.
Caractéristiques de l’alcoolisme féminin
Certaines modalités d’alcoolisation des femmes semblent se différencier de celles des hommes. Ces femmes présentent souvent une faible estime d’elles-mêmes et ressentent un sentiment de culpabilité qui est sûrement en lien avec la réprobation sociale à leur égard. Plusieurs auteurs expliquent que la femme alcoolique choisit un mode d’alcoolisation plus solitaire, cachée. Elle adopte un mode de consommation privée et non publique, elle va rarement au bar. Ces femmes n’évoquent pas un alcoolisme dit « d’entraînement », que nous pouvons retrouver chez certains hommes. La gaieté, la convivialité sont absentes de ces alcoolisations. Elles témoignent plutôt d’une grande difficulté à entrer en communication avec autrui. Certaines femmes parviennent à le cacher à tout leur entourage. Comme elles se cachent, elles boivent vite par crainte d’être surprise.
Il est rare que les femmes boivent de façon conviviale, dans le but d’un plaisir partagé ; le plus souvent, c’est pour oublier un déplaisir, un mal-être, qui leur est singulier. La coexistence de symptômes dépressifs est assez courante. Très souvent, elles associent alcool et médicaments. L’alcool représente alors une forme d’automédication.
Il s’agit souvent d’une conduite d’alcoolisation plutôt intermittente, culpabilisée avec une recherche délibérée de l’ivresse. La détérioration physique associée aux abus d’alcool est plus importante chez les femmes. La femme alcoolodépendante s’intoxique plus gravement et plus profondément que l’homme. A poids égal et consommation d’alcool équivalente, elle accuse très vite un seuil d’alcoolémie plus important.
Ces femmes recherchent l’ivresse et contrairement aux représentations sociales, elles consomment des alcools forts d’avantage que leurs homologues masculins. Les effets recherchés sont l’anesthésie, l’oubli, un état de somnolence. Le désir n’est pas parlé, le plaisir non plus. La sexualité est rarement évoquée. Elles évoquent un sentiment de solitude. L’alcool vient combler ce manque de l’autre.
La recherche d’un effet sédatif est privilégiée. Rompre avec la réalité extérieure apparaît comme une nécessité. L’alcool devient un objet qui propose une fuite, hors de la réalité externe. Boire devient pour ces femmes une issue à une souffrance cachée, indicible. Nous retrouvons là toute l’ambivalence à l’objet qui semble si merveilleux et qui est pourtant si destructeur.
Seulement après l’ivresse, selon leurs propos, c’est la déchéance qui apparaît. Souffrance psychique et souffrance physique s’entremêlent.
Des femmes alcooliques témoignent qu’elles subissent des reproches de la part de leurs enfants, de leurs parents, de leur belle-famille, de leur mari. Cette dépendance leur coûte cher. Elles se sentent souvent seules dans leur démarche de soins.
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